La musique de la Grèce antique (1) (05/02/2021)

             La musique a imprégné la vie individuelle ou sociale des grecs au point d'en devenir en quelque sorte le ciment, mais au même titre que pour les autres peuplades de l'époque.

             L'apport de la Grèce fut par contre exceptionnel dans sa manière de concevoir le rôle même de la musique dans la cité, puis de l'analyser scientifiquement en tant que discipline mathématique. De tous les peuples de l'antiquité, elle a été la seule à réfléchir sur cet art. Elle sut l'analyser, le situer, le décrire. Elle lui donna finalement une valeur en soi qui en fit l'une des composantes essentielles de la civilisation hellénique.

MUSIQUE ET CIVILISATION(1)

Le temps des dieux

L'histoire grecque nous présente la synthèse tardive et harmonieuse des deux protagonistes habituels de toute civilisation ancienne : le sédentaire et le nomade. Chacun d'eux a son cortège de modes de vie, de pensée et d'action. Exprimée sous forme de rites, de fêtes, de dieux, de coutumes, la culture est véhiculée par la musique.

             Au VII° siècle avant Jésus-Christ s'implante à Eleusis le culte de Demeter (notre mère la terre). Célébré sous forme de mystères, il inclut une doctrine de survie au delà de la mort. Les initiés apprennent les gestes et les formules qui doivent guider l'âme du défunt au long des méandres du voyage outre-tombe et la communication s'établit au moyen de chants et de danses.

             Au musiciens primitifs, sédentaires jouant de l'aulos, flûte double à anche, et pasteurs jouant de la lyre et de la cythare, succèdent les prêtres-chanteurs des grandes célébrations. Autour de ces célébrations réservées aux initiés, s'organisent un ensemble de fêtes publiques, les Eleusinia, assorties de concours de gymnastique et de musique. Peu à peu apparaissent les grandes dionysies, fêtes de quinze jours en l'honneur de Dionysios : sacrifices, processions, exécutions chorales et représentations sacrées.

             Puis apparaît le théâtre antique, avec ses chants et ses danses et le musicien devient professionnel. Des associations dionysiennes se créent à Athènes, puis en Asie mineure, en Egypte. Les schèmes obligatoires des mélodies traditionnelles qui devaient leur puissance magique à leur immuabilité, s'altèrent et la notion de progrès remplace celle de fidélité.

Le temps des philosophes

Aux alentours du VII° siècle, pour Homère, la musique est encore le langage des dieux, et le poète qui chante n'est que l'interprète dont ils empruntent la voix. Au VI°, Pythagore entend les cieux chanter et converse avec les arbres et les rivières, mais il expérimente en même temps les rapports des intervalles ente les sons. Il reprend à son compte l'idée du son créateur chère aux Égyptiens et aux Perses. Puisque l'univers découle du son, du Verbe, il est lui-même vibrations. En étudiant la structure de la musique, on peut découvrir la structure du monde. Pour Pythagore, dit Aristide Quintilien, ce qu'il y a de plus haut dans la musique peut être mieux saisi par l'intelligence à travers les nombres que par les sens à travers les oreilles. Pythagore découvre ainsi l'octave, la quarte et la quinte.

             Platon hérite de la conception pythagoricienne. La musique devient un sujet de science raisonnée, susceptible, par analogie, de faire concevoir et d'expliquer la nature même de la divinité. C'est aussi un moyen d'atteindre la révélation des principes ayant la "force de mouvoir et d'émouvoir l'âme" (E. Moutsopoulos). En analysant les éléments techniques de la musique et en en dégageant le caractère éducatif, Platon fait participer la musique à la grande entreprise du transfert religieux des légendes dogmatiques aux idées métaphysiques.

             La musique, base de l'éducation de l'âme, devient un élément essentiel de l'éducation et de la vie de la Cité, contrepoids à la gymnastique, éducation du corps. Le musicien est un inspiré et un gardien des lois. La musique est définie par l'éthos social et moral de ses diverses harmonies. Ces harmonies sont vraisemblablement des échelles caractéristiques par lesquelles se différencient les mélodies de tel ou tel type. Platon en connaît quatre : le dorien, le phrygien, le lydien et le mixolydien. Il prescrit le dorien, incitant à la modération, et le phrygien, transmetteur de courage. Il proscrit le lydien portant vers les passions. L'hostilité à l'encontre de l'aulos, qui se distingue de la lyre par son origine étrangère, son étendue et son pouvoir émotionnel, est issue de cette doctrine. "Une perturbation dans les styles musicaux s'accompagne toujours de changements correspondants dans les institutions politiques." C'est en vertu de ce principe fondamental que Platon recommande un contrôle et une censure de la musique dans sa République idéale.

             Pour Aristote, disciple de Platon, la musique inclut également le "mélos" ou poésie, combinaison de trois éléments : la mélodie, les paroles et le rythme. Elle complète symétriquement les arts de la vue, peinture et sculpture. Avec lui, un degré de plus est franchi. Il ne retient que l'aspect positif et pragmatique de la musique, nécessaire à l'éducation de l'âme et à l'édification de la cité. Il laisse de côté ce qui reliait encore la musique au monde imaginatif des dieux.

Le temps des techniciens

Jadis souffle des dieux, la musique n'est plus qu'un art des hommes qu'Aristoxène, élève d'Aristote, va analyser dans son traité des "Éléments harmoniques". C'est un technicien de la musique et non un philosophe. "Les harmoniciens, mesureurs d'intervalles, ne sont que des sophistes. La musique est l'art de l'ouïe. C'est l'ouïe seule qui doit juger".

             Aristoxène cherche à définir la place du second degré descendant dans un tétracorde et à trouver la distance exacte des tons entre eux. Les anciennes harmonies disparaissent. Il ne subsistera plus qu'un seul et uniforme système.

             Approfondissant la notion de "mélos", il distingue une mélodie du verbe différente de la mélodie musicale. A sa suite, introduit une sorte de style récitatif, le "parakatalogé", dans l'accompagnement musical. C'est un retour au chant, considéré comme base de la musique, supérieur à la musique instrumentale et savante.

 

[1] D’après Jacques Chailley, Grèce antique, musique, Encyclopaedia Universalis, V10.

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