Construire un livre (01/08/2020)
Construire un livre est une histoire sans fin qui germe tranquillement dans l’esprit jusqu’à prendre le pouvoir sur les autres pensées. On écrit quelques lignes sans penser à mal, pour le plaisir de phrases bien ordonnées et leurs enchaînements. Ce ne sont que des bribes de mots attachés les uns aux autres, liés par un fil invisible qui s’appelle le thème, même si on ne le connaît pas encore. Il se façonne de lui-même imperceptiblement, secrètement, en douce diraient les garçons devant un parterre de filles, un peu comme une pluie qui ne dit pas son fait. Progressivement, avec douceur, ces bribes se rassemblent, puis dansent leur barbarie dans vos oreilles sourdes, jusqu’au moment où l’on entend sa vibration dans la tête, par intermittence, comme une mélodie mal jouée, mais devenue indispensable à certaines heures. Vous n’êtes pas encore le chef d’orchestre, tout juste un petit violoniste parmi les autres, mais déjà là à occuper son siège sans encore disposer de la partition. Puis, dans le silence de la nuit se construit l’idée : un livre, pourquoi pas ?
L’idée grignote votre cerveau comme un rat empoisonné, maladroitement, mais sans cesse, et vous vous soupçonnez à y penser par inadvertance, jusqu’à ce qu’elle recouvre vos dernières résistances d’un liant doucereux, envahissant et persuasif. Mais ceci ne fait bien sûr pas un livre. Ce n’est qu’une injonction prenante et obsédante qui doit murir jusqu’à éclater dans la tête sans cependant savoir en quoi elle consistera réellement. J’ai bien un thème, mais celui-ci ne suffit pas. Encore faut-il le remplir de consistance comme un panier au marché. Alors vous en cherchez les ingrédients selon le thème enfoui dans votre mémoire. C’est un vide à remplir progressivement, par petites touches fluettes qui contient de nombreuses coquilles à trier ou à éliminer, d’autres à développer, d’autres encore à accueillir sans raison, parce qu’elles vous plaisent. Un plan se dessine, doucement, comme un miel collant aux parois du cerveau. Ça y est, vous êtes atteint, la machine commence à tourner à plein régime sans que vous vous en soyez rendu compte. Mais attention, rien n’est joué.
Commence alors la rédaction. Elle vient toute seule, les phrases sortent d’elles-mêmes, s’alignent gentiment à partir du toucher des lettres de votre ordinateur, les doigts tricotent, la pensée siffle comme un train pressé, puis soudain s’arrête. Le trou. Ah, quelle misère ! Qu’est-ce que je cherche : un mot, une expression, ou, plus grave une suite aux idées qui pourtant s’enchaînaient tranquillement et sans difficultés. Suspendu au-dessus du trou, je fouille de mes yeux ce vide immense à mes pieds, encombré encore de notions mal taillées ou de néant sans attaches.
– Attend demain, me dit une partie de moi-même. L’autre s’acharne encore, mais roule les quatre roues dans le vide, malgré les coups d’accélérateur que je tente de donner. Je m’embourbe, impuissant, malheureux. Alors je ferme le couvercle de l’engin, laisse ces pensées reposer et vais me coucher sereinement. Bientôt un ronflement régulier flotte au-dessus du lit. L’esprit n’est plus là.
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