Des étoiles, livre de Jeanne Guizard (01/06/2018)

C’est bien une lettre ouverte à la mère de l’auteur, tellement intime qu’on est parfois gêné de la lire. Elle débute par trois coups de crayon. On entre tout de suite dans le sujet : toi, ma mère, celle qui m’a mise au monde. On s’attend à une certaine gaité, tout au moins de chaleur, dans cette description. Mais on ne nous parle que de ses peines : Toi, Maman, qui as eu mal toute ta vie sans savoir pourquoi. L’amour gouverne sa vie, mais cet amour ne l’a pas rendu heureuse. Une enfance triste, un mariage sans joie, des hommes égoïstes, le père, le mari, le fils. Tu fais partie de l’immense majorité des femmes qui ont été sacrifiées, qui ont vécu sans qu’on les voit. Ces femmes sont l’ombre des hommes, elles sont leur faire valoir. Enfin, elle revient. Elle a mis beaucoup de temps pour atteindre son but : l’amour qui vise le bonheur de ceux qu’on aime.

Le chapitre 2 traite de son père (le grand-père de la narratrice). Un homme de rigueur, et même rigoriste. Il décide et ne veut que la paix. Tu étais jolie, il était fier et heureux de marcher à tes côtés. C’est tout ce qu’il demandait. L’auteur place là son aversion pour la conception de la femme du début du XXe siècle : soumise et triste, rassurant modèle pour un home craignant de perdre ses prérogatives de mâle.

Son mari (chapitre 3) est le même homme : trop à faire pour pouvoir s’occuper des autres. Aucune tendresse, aucune douceur. Il t’a transformé en objet. Elle le choisi contre l’avis de ses parents, parce qu’elle porte le même malheur que lui au fond d’elle-même. Elle a lâché prise, elle est devenue triste, mais elle n'a pas perdu son âme. Il la terrorise, mais maintenant ne peut plus se passer d’elle.

Son fils maintenant (chapitre 4), attendu onze ans après elle, la narratrice. Elle le bichonne, le couve, sans que son père s’en occupe un seul instant. Il n’assure pas la relève de la mère. Pourtant l’enfant doit se sentir le fruit d’un projet à deux. En conséquence, ce fils n’eut pas d’enfant. Il n’en voulait pas.

Toi, l’étoile qui me fait rêver enfin (chapitre 5) qui veille et qui n’existe que par l’attente et la passivité, infirme de trop d’amour. Tu es de ces mères qui donnent tout, même ce que tu n’as pas reçu et tu essayes de faire mieux, toujours. Un mal profond t’empêche d’être vraiment dans le bonheur. Souffrante, tu es cette force qu’on a fait taire.

Le long des jours (chapitre 6), tu sais que tu as fait ce que tu avais à faire. Comment la souffrance t’atteindrait-elle encore ? La colère a disparu, tu ne souffres plus dans ton cœur. Tu n’as pas peur de la mort. Mais tu t’occupes de ton mari, tu le transforme et il t’offre sa vie. Tu le sauves et tu donnes sens à ton mariage.

Vous allez ainsi vers une autre vie (chapitre 7), parlant une nouvelle langue, celle de l’amour. Tu as réalisé ton rêve, tu as réussi à lui donner tout cet amour dont il a manqué. Mais la fin reste pessimiste. Ils se tiennent les mains : les tenir ainsi jusqu’à la fin finale, les serrer, ensemble, jusqu’au froid, le froid final.

Que dire ? Peut-on parler d’une telle lettre, dite dans l’intimité familiale, avec ses non-dits et ses trop-dits ? C’est avant tout une belle confession de la part de l’auteur. Se mettre à nu devant tous et oser dire ce que l’on garde dans son cœur jusqu’à la fin parce qu’on n’a pas su ou voulu l’exprimer. C’est un acte d’amour sans nul doute.

Mais cet amour concerne-t-il ceux qui lisent ce recueil ? Peuvent-ils accéder et adhérer à cette description acerbe qui devient plaidoyer pour les femmes et attaque de la société patriarcale du XIXe et première moitié du XXe siècle ? Oui, sans doute. Mais n’existe-t-il pas, au moins en parallèle, une vie autre, un refuge qui donne à ce passage sur terre un souffle de libération malgré les embûches et les contraintes de la vie en société ? N’y a-t-il pas eu en cette femme des moments de joie intense, d’exaltation bienheureuse, des instants où elle sut sortir d’elle-même et s’élever en pleurant de bonheur ?

Le style est beau, parfois poétique : L’automne est arrivé, c’est la saison que tu préfères. Les jaunes, les rouilles, les rouges fleurissent et commencent à descendre vers le sol dans un ait légèrement frais. C’est un festival de couleurs qui lâchent prise, qui s’effondrent. Le ton peut aussi être revendicatif, principalement envers les hommes. Il y a deux mondes : celui de la vie publique, celui des hommes, et celui du cœur qui appartient aux femmes. Peut-être un peu manichéen, malgré tout. Les êtres vrais participent aux deux par transformation progressive d’eux-mêmes.  

07:51 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, féminité, patriarcat, amour |  Imprimer