L'homme sans ombre (17) (05/09/2017)

Elle n’a pas oublié le deuxième point d’interrogation concernant Mathis, c’est-à-dire son absence d’ombre face au soleil couchant. Elle ne peut l’imaginer, même si l’absence d’ombre ne se remarque que très peu et nécessite une attention qui n’est pas donnée à tous.

Dans l’après-midi, elle prend patience dans la queue habituelle à l’entrée de Beaubourg avant de pénétrer dans le hall immense et de monter à l’étage. Elle se livre d’abord à une fouille exhaustive des livres traitant de la lumière et de l’ombre, en fait une liste, va chercher les livres qu’elle a choisis et s’installe à une table à moitié vide. Au travail !

Elle commence par feuilleter les quelques livres de physique qui traitent de la longueur de l’ombre par rapport à la hauteur du soleil, de la possibilité d’avoir plusieurs ombres, bref de tous les phénomènes liés à l’interposition d’un écran devant n’importe quelle lumière émise. La lecture des articles du dictionnaire traitant des ombres ne lui apprend rien non plus. Se tournant alors vers des articles moins scientifiques, elle trouve le terme de personne transfigurée dans le livre de Louis Pauwels intitulé Monsieur Gurdgieff. Elle relie plusieurs fois la phrase clé : « J’approchais de cet état de conscience où mon être ses saisissait lui-même dans sa réalité absolue. Il naissait à lui-même au centre de ma propre personne transfigurée et dont tous les éléments, une seconde stoppés, devenaient pareils à ceux d’un temple. Des plus gros piliers à la moindre fioriture baroque, tout est unifié, tout s’ordonne en fonction du même service. Alors tout objet auquel s’affronte ma conscience, que ce soit une chose, un être ou une idée, est vu dans sa plénitude, existe objectivement, et connu de manière absolue et ineffable. » Elle semble tenir quelque chose d’intéressant. Cela évoque, comme le dit Louis Pauwels, l’homme dans son être entier avec un état de conscience plus ou moins surnaturel. Mais cela explique cependant qu’on ne parvient à cet état qu’en un millième de seconde qui devient l’instant de la seule vie véritable et la promesse de l’éternité. Soit, mais que faire de cette indication ?

L’absence d’ombre pourrait ainsi être liée à un état psychologique. N’est-ce pas ce que nous avons conclu du phénomène de lévitation ? Cela semble assez logique. Il faut fouiller plus avant. Recherchant à nouveau sur l’ordinateur, elle trouve un texte franc-maçon[1] qui évoque le combat de l’ombre et de la lumière. Avant même d’ouvrir le texte lui vient l’idée que l’ombre est inséparable de la lumière. Même lorsque le soleil n’apparaît pas dans le ciel, c’est qu’il y a un obstacle qui le voile, les nuages créent l’ombre sur toute la terre. La lumière est à l’origine de tout, l’ombre n’existe que dans la création. Dès la première page, elle peut lire : « L’ombre est la preuve de l’existence d’une lumière qui préexiste comme l’écho invisible d’une spiritualité dynamique, mais que notre rationalité portée aux évidences ne peut visualiser dans l’instant présent. » Mais elle ne souscrit pas à l’idée que c’est du cœur de l’obscurité que nous voyons naître la lumière qui ne prend tout son éclat qu’en faisant reculer les ténèbres, ni au fait que celui qui sait découvrir la lumière dans la profondeur des ténèbres sera aussi capable de trouver la voie de l’univers et de son « Moi » intérieur. Elle conçoit plus cette démarche comme un allégement de tout ce qui encombre l’esprit que comme une plongée dans les ténèbres. Cette lecture la perturbe, elle ne voit pas bien ce qu’elle peut en tirer. Il y a sans doute une part de vérité dans ce texte, mais plonger dans l’obscurité pour trouver la lumière lui semble inapproprié.  Elle ferme le document et s’interroge : « Finalement, qu’ai-je appris ? L’ombre est le résultat d’un voile mis devant la lumière. Ce voile est la création. Le non-créé ou l’incréé est sans ombre. Peut-on passer du créé à l’incréé en s’affranchissant du mouvement, c’est-à-dire de tout ce qui tient grâce à l’équilibre impalpable de la gravité ? Et l’on revient à la lévitation par cet affranchissement de la gravité. Les deux sont donc très probablement liées : l’absence d’ombre et l’émancipation de l’attraction terrestre ». 

 

[1] http://www.ledifice.net/7292-5.html

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