L 'homme sans ombre (9) (02/08/2017)

Le lendemain, ils se retrouvent après le déjeuner chez Patrick et Lauranne. Elles ont convaincu les hommes de faire une petite promenade avant que le soleil décline, vers dix-neuf heures, à peu près la même heure que l’autre jour. Ils reprennent le chemin de la colline, cet endroit dégagé, sans arbre qui permet de contempler la vallée sur une bonne longueur. Les deux hommes marchent devant, les deux femmes les suivent avec un léger décalage. Après la montée, ils arrivent à l’endroit où le soleil les frappe de la tête aux pieds, intégralement. Lauranne et Noémie regardent et, tout à coup, Noémie s’exclame : « Regarde, cela recommence : pas un gramme d’ombre. Il est transparent ! » Et Lauranne lui répond : « Il marche sur un coussin d’air. » Elles ne peuvent en dire plus et restent bouche bée devant le phénomène. Noémie s’inquiète. Elle a du mal à concevoir une vie avec un homme qui n’a pas d’ombre et qui se détache du sol. Ce n’est pas normal, pense-t-elle. Lauranne ne sait que dire. Elle s’interroge sur l’avenir de leur prochain mariage. Pendant ce temps, Mathis et Patrick discutent tranquillement, sans inquiétude ni gène, comme chaque fois qu’ils se retrouvent. Ils ne prennent pas garde à l’attitude des deux femmes.

Lauranne se dit qu’il est temps de les rejoindre et de leur faire part de l’idée de voyage.

– Il nous est venu une idée et nous voudrions vous en faire part, car elle nous concerne tous. Nous nous entendons bien, avons passé plusieurs week-ends ensemble et pensons que nous pourrions prendre une semaine de vacances cet été tous les quatre.

– Mais pourquoi pas, répondit aussitôt Mathis. Tout dépend de l’endroit où vous désirez aller.

– Cela va vous sembler insolite, répondit Lauranne, mais changer pour changer, autant aller au bout du monde. Nous en avons marre des congés au bord de l’eau dans un pays chaud. Nous voulons de l’insolite, aller où vont rarement les occidentaux, un pays où la conception de la vie et les réactions des gens sont différentes. Que pensez-vous de Katmandou ?

– C’est loin. Pourquoi aller si loin ?

– C’est ce que je vous disais. On change de paysages, de personnes, de culture, bref, on est dépaysé. Qu’en penses-tu Patrick ?

– Pourquoi pas, dit Mathis. C’est un pays curieux qui mérite d’être visité. D’ailleurs, il y a deux ans, nous avons failli nous y rendre, mais au dernier moment, nous avons dû tout annuler en raison d’une mauvaise grippe. Je pense que c’est de là que vient ton idée, Lauranne, n’est-ce pas ?

– Oui, c’est vrai, je serai contente de faire ce voyage, répondit-elle. Et toi, Mathis, cela te conviendrait-il ?

– Pourquoi pas. J’ai toujours été attiré par l’Inde et le Tibet. Ce sera l’occasion de faire connaissance.

– Au fait, pourquoi t’intéresses-tu à ces pays ?

– J’ai lu quelques récits de voyageurs et ceux-ci m’ont fasciné. C’est une société si différente de la nôtre, si peu préoccupée par l’argent, avec une vraie vie intérieure, ce qui n’est absolument plus le cas chez nous.

– Tu ne m’en as jamais parlé, fait remarquer Noémie.

– C’est vrai ; mais je comptais t’en parler très prochainement avant notre mariage. Nous n’avons jamais eu l’occasion de parler de ces pays et de ce qui s’y passe.

– Et comment t’y es-tu intéressé ? demanda Lauranne.

– C’est une vieille histoire, presqu’aussi vieille que moi, à deux ou trois ans près.

– Mais que veux-tu dire ?

– Non, qu’est-ce que je raconte ? Cela remonte à quatre ans. J’ai eu l’occasion de rencontrer un maître tibétain ou plutôt un lama, lors d’une conférence sur la méditation à Paris. Cela m’a marqué suffisamment pour que je m’intéresse à ces pays.

– Tu ne m’a jamais parlé de cela, lui reproche doucement Noémie.

– C’est vrai et je crois que c’est bien un peu de ta faute. Depuis deux ans je suis si préoccupé par toi que j’en avais oublié le lama. Pardonne-moi Noémie. C’est tout à fait involontaire. En fait, il n’y a pas grand-chose à dire. J’ai écouté le lama et ses paroles m’ont semblé si justes que j’ai fréquenté pendant un peu moins d’un an les conférences sur le bouddhisme tibétain. Puis progressivement mon intérêt a décru jusqu’à cesser au moment de ta rencontre.

– Je te pardonne, lui susurre Noémie. Mais il faudra que tu me racontes cela plus en détail. Promis ?

– Oui, mais comme je viens de te le dire, il n’y a grand-chose à détailler. Je te raconterai cela dès que nous aurons un moment.

– Bon, eh bien, si nous rentrions à la maison après cette bonne promenade. Je propose d’aller chercher la voiture avec Patrick et vous, vous nous attendez ici. D’accord ?

– Cela nous convient très bien, lui répondit Lauranne. À tout à l’heure. Mais ne traînez pas en route.

07:16 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : récit, nouvelle, fiction |  Imprimer