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24/08/2017

L'homme sans ombre (14)

Que fit Mathis jusqu’au lendemain ? Noémie ne le sait pas. Elle le retrouve vers midi, pour un nouveau déjeuner, dans le même restaurant. En entrant, elle le regarde et sent sa confiance renforcée envers lui. C’est bien lui que je veux, se dit-elle.

Après les bavardages habituels, les caresses et les baisers, Noémie n’en peut plus. Elle veut savoir, elle doit savoir.

– Alors mon chéri, revenons au sujet qui nous intéresse. J’ai tant attendu. Que peux-tu me dire ?

– Eh bien, avant de te dire quoi que ce soit, je vais te demander une promesse qui engage non seulement ce que je vais te dire, mais également notre avenir, c’est-à-dire notre mariage.

– C’est effectivement sérieux et cela demande réflexion. Néanmoins, je te fais cette promesse sans perte de temps, non par impatience, mais en confiance. Je sais que nous avons confiance l’un en l’autre. C’est d’ailleurs bien ce que signifie le mot : fiance avec, ensemble. Oui, nous sommes fiancés et rien ne peut nous séparer, même pas un serment que nous nous attacherons à garder intact. Mais de quel serment parles-tu ?

– Tu dois me jurer de ne parler à personne de ce que je vais te révéler, quoi qu’il arrive. Ce serment ne peut être rompu sans dommages pour nous. Il m’amènerait à un choix trop difficile entre toi et le secret dont je vais te parler. Et je crois que je serai obligé de te quitter si cela arrivait, ne pouvant faire autrement que de choisir le secret.

– Mais de quel secret parles-tu ?

Mathis sourit gentiment, attendri par l’impatience de Noémie qui restait bien femme, droite, ouverte, mais curieuse.

– Auparavant, il est nécessaire que tu prêtes serment, lui rappela-t-il.

– je te jure de ne parler à personne de ce que tu vas me révéler maintenant. Je connais les dangers d’une telle révélation et je m’efforcerai de ne jamais faillir à cette promesse.

– Merci, Noémie. Je ne doutais pas un instant de ton engagement et il est nécessaire pour ce que je vais te dire. Je t’ai dit qu’en ce qui concerne mon intérêt pour le Tibet, cela remonte à cinq ou six ans, peut-être sept. En fait, cela dure depuis beaucoup plus longtemps, depuis mon enfance, vers l’âge de cinq ou quatre ans, peut-être même avant. Je me suis réveillé un jour en pleine nuit, tendu comme un arc et reposé comme jamais. J’étais conscience qu’il venait de se passer quelque chose d’insolite. Beaucoup plus qu’un souvenir, je sentais dans tout mon corps cette impression extraordinaire de légèreté et de tension. Je revoyais l’effort volontaire entrepris et l’aisance, dans le même temps, que j’avais eu pour m’élever au-dessus de mon lit de quelques dizaines de centimètres, naturellement, sans apprentissage. Cela s’est manifesté subitement, comme sous une impulsion irrésistible. J’étais maintenant épuisé et complètement relaxé, sentant le poids de la gravité qui m’avait quittée pendant quelques minutes avant de reprendre l’impérative exigence de tous les humains, c’est-à-dire être collé à la terre quoiqu’il arrive. Je n’étais qu’un enfant qui ne savait pas encore analyser ce qui lui arrivait. J’étais tellement surpris par cet événement que je n’en mesurai nullement à la fois l’importance et le fait exceptionnel qu’il constituait. Je n’osais en parler à personne, je sentais même que je ne devais en parler à personne et je finis par m’endormir. Le lendemain matin, quand maman vint me réveiller, je ne conservais qu’un rare souvenir d’élévation et de flottement que je ressentais dans le bas de la colonne vertébrale. Que m’était-il arrivé ? Je n’entretenais plus qu’une impression tenace, mais inqualifiable, comme un rêve dont les racines plongeaient dans la réalité, mais sans que je sache pourquoi.