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26/03/2017

Penser la pensée

Quoi de plus beau que de penser la pensée ? Il ne s’intéresse pas à ce qui est dit. Seul importe pourquoi c’est dit, c’est-à-dire comment cela lui est venu à l’esprit. Une telle recherche semble dérisoire, mais elle est devenue une science, et même plus puisque l’on parle des sciences cognitives. Mêler (pour penser) et démêler (pour penser la pensée) l’intuition et le connu est le propre de cette science. Mais peut-on dire qu’il s’agit d’une science ? A quel moment le savoir bascule dans l’inconnu et permet d’atteindre une compréhension différente qui fait avancer la solution ? La science cognitive est comme une outre, ou même un estomac plein. On bourre la poche. On trouve toujours  un peu plus de place, car elle est élastique, et puis, à un moment, elle explose. Son contenu se disperse ; il ne reste rien qu’une nouvelle solution qui l’a remplacé. Quel mécanisme a engendré cette révolution, pourquoi, comment ?

L’homme de tous les jours n’a qu’une vision, celle qu’il a apprise de ses parents et de ses professeurs, parfois agrémentée de vues personnelles qui constitue sa liberté d’être et qui lui apporte sa maturité. Il lui faut beaucoup de temps pour comprendre que cette vision est ce qui l’empêche de connaître plus profondément l’organisation des choses et en particulier de sa pensée. Pourquoi à un certain moment se rattachent ensemble des objets différents et dispersés qui vont lui donner une autre vision ?

En ce qui concerne certains hommes, il s’agit avant tout de se frayer un chemin dans le connu pour trouver les fentes qui permettent de le traverser et passer de l’autre côté. C’est un voyage vers le vide qui, à un moment donné, va crever la surface du connu et l’entraîner vers une nouvelle approche. Ce n’est pas réellement encore une vision. Il lui faudra pour cela faire appel au connu, l’habiller de mots que tous connaissent et organiser ces mots en concepts et arguments démonstratifs. Ce sera un travail long et difficile car il lui faudra revenir sur le connu pour expliquer l’inconnu et décrire le chemin de l’un à l’autre. A quel moment trouve-t-on les failles et peut-on se glisser dedans ? Comment cheminer dans ce labyrinthe sans se perdre ou tomber dans des crevasses ?

Aussi simple que cela puisse paraître, il suffit de ne plus penser et de laisser apparaître la solution toute seule. Elle vient d’un coup, dans le vide de l’esprit, dans une transformation de l’être qui s’allège, se transcende et perçoit la lumière de la solution. Contrairement à ce que pensent de nombreux psychologues, ce n’est pas l’esprit d’ouverture et d'empathie qui va permettre cette transformation. C’est au contraire la fermeture aux influences extérieures, aux rappels incessants du connu qui permettra cette transformation de la pensée et enclenchera des rapprochements inédits et intéressants.

Cela lui rappelle une anecdote. Au cours de discussions en commun sur des sujets  tels que le destin, la liberté, la transcendance, il lui était reproché de se tenir les bras croisés et de regarder les autres sans participer réellement à la conversation. C’était pour lui sa manière de se détacher du connu pour laisser l’inconnu envahir sa pensée. Il faisait le vide en lui-même et pouvait alors relier entre eux des éléments qui, normalement, sont éloignés les uns des autres. Cela lui permettait d’acquérir un fil de pensée différent et original. S’il restait ouvert, le corps tourné vers l’autre, il lui était impossible de faire naître en lui ce fil qui l’aidait à se retrouver dans le labyrinthe et de franchir le Rubicon. Il appelait cela « transcender le connu ». C’est un phénomène étrange. Se creuse en lui un espace vide, une sorte de trou d’air qui l’aspire et le fait flotter dans une sorte de liquide amniotique qui le nourrit de liaisons et fabrique l’image qu’il recherchait sans la connaître. Le tableau est posé, il faut maintenant le lui donner la couleur et les formes qui le rendront compréhensible aux autres. Le Rubicon est franchi, le désert s’étend à ses pieds, il lui faut maintenant relier entre elles toutes les gouttelettes pour constituer le fleuve de nouvelles connaissances. Alors comment susciter en lui, comment faire renaître ce vide nourricier qui lui permet de se glisser entre les fentes du connu pour aborder l’inconnu ? C’est cela penser la pensée, c’est cela qu’il faut découvrir pour améliorer sa compréhension du monde, des autres et, in fine, de lui-même.