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10/08/2016

La mue (14)

Je me réveille. Je n’entends rien, ils doivent dormir. Ah, voici Joséphine. J’entends ses pieds nus sur le plancher. Elle va se faire un café à la cuisine. Elle passe devant ma cage. Je suis toujours sous le voile. Je pépie. Mais rien n’y fait. Elle fait semblant de ne pas entendre. Elle vit sa vie sans s’occuper de mon sort. Que vais-je devenir ? Je ressens l’angoisse des relégués, de l’employé que son patron cherche à virer, du sportif moins performant qui ne convient plus à son entraîneur, de l’amant évincé, de l’enfant sans parents. C’est dur cette vie inutile qui n’intéresse personne. Je pleure doucement derrière mon voile, hoquetant de petits gazouillis. J’entends l’homme se préparer à partir. Pourvu qu’elle ne parte pas avec lui. Non, la porte claque et je l’entends marcher. Elle vient vers moi, retire le voile, me regarde sans animosité, mais sans amour. Je suis devenu un meuble de plus dans l’appartement qu’elle a adopté alors qu’il m’appartient. C’est sans doute pour cela qu’elle ne me met pas à la porte. Elle n’ose pas. Je vois son œil noir. J’ai bien envie de me jeter dessus avec le bec et de le crever. Mais je ne bouge pas. Que se passerait-il si elle me mettait à la porte ?

Nous sommes mardi. La femme de ménage arrive après le départ de Joséphine. Elle aussi a pris l’habitude de recouvrir la cage du voile opaque. Elle peut fouiller dans nos affaires sans vergogne, personne ne la verra. Je l’entends farfouiller dans le secrétaire, là où je mets mes papiers. Que peut-elle bien faire ? Je l’entends ouvrir grand les fenêtres. Tout à coup, j’ai envie de promenades. J’ouvre la cage sans qu’elle me voie, je me glisse sous le voile, jette un œil et comme elle se trouve dans une autre pièce, je m’envole par la fenêtre. Enfin, de l’air frais et un peu de liberté ! C’est agréable de virevolter dans le soleil du matin, d’aller dans toutes les directions, de se poser sur une branche ou un toit et de rêver devant l’étendue de la ville et le nombre de buildings.