Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

06/08/2016

Nuit, toujours

La nuit te prend parfois, au creux de ton sommeil, et te renvoie à ton image dans le brouillard des jours lorsque l’éveil succède au rêve sans transition, comme le passage d’un métro qui ne t’est pas destiné. Alors tu descends sans bruit vers la cuisine, ce refuge de tes nuits discrètes où ton cœur chavire de bonheur d’être seul éveillé dans un village où tous dorment d’un sommeil lourd et chargé d’ignorance. Et cette descente vers le paradis, marche après marche, t’encourage dans ta décision de t’éveiller et de laisser aller ton inconscient à de longues phrases sans fin qui, comme une robe de mariée, déroule sa traîne de quart d’heure en quart d’heure, jusqu’à ne plus distinguer le moment où tu es descendu et celui où tu remontes, déjà rassasié de ce temps qui s’écoule sans raison, par inadvertance, telle une bouteille à la cave qui a perdu inopinément son bouchon, va-t’en savoir pourquoi.

Tu t’installes dans cette attitude particulière aux nuits où tu te sais seul point de réflexion, petite marmite où bouillonnent les idées alors que tous ont mis au frigidaire leurs soucis, leurs joies, leurs espérances et que tous encore ont capitulé devant l’inanité de la vie et fermé leurs cœur et leur intelligence ou même leur âme à l’attrait d’un désert où l’on erre sans relâche jusqu’à ne plus savoir si l’on va s’en sortir. Tu bois ton café qui a filtré pendant tes réflexions entrecoupées de regards vers la machine dans l’attente d’un réchauffement du corps en parallèle à la tiédeur de l’esprit qui s’installe en toi. Le breuvage aussitôt filtré, tu as empli ton bol, jeté un nuage de lait dans le liquide noir pour qu’il prenne l’expression d’une métisse rondouillarde qui enchante le palais et tu t’es lancé dans cette divine inconnaissance qui guette tout homme à trois heures du matin, éveillé mais plein de songes qui, pour autant qu’ils te semblent, feront ton délice d’une nuit. L’œil vague, la main reposant sur la table, l’autre tenant ton bol à hauteur de ton visage, tu laisses errer ta conscience sans savoir où elle s’échappe, comme ces souris que tu vois apparaître parfois entre la cuisinière et tes pieds, ombres vivaces qui te font prendre conscience de ta vanité d’humain. Alors un sourire discret se dessine sur ton visage, car tu te vois enfant réveillé à la même heure et perdu dans une cuisine autre, terrifié mais fier d’être debout pendant que tous dorment encore.

Puis, tu montes enfouir ta personne dans un bureau devenu ton refuge, loin des cris et des pleurs d’enfants que tes propres enfants ont eux-mêmes engendrés, et tu entres dans ce monde imaginaire auquel tu te livres entièrement, dans lequel tu te baignes et t’immerges avec une délectation que tu ne soupçonnais quelques minutes auparavant. Là, devant ton ordinateur et tes méninges, tu laisses filer les mots qui sortent en chapelet et les rattrapes dans un filet à papillons qui laisse parfois filtrer des paroles doucereuses ou malveillantes mais toujours apaisées par l’ouate de l’obscurité.

Enfin, viens le moment où, ayant déversé une littérature sauvage sur l’écran sans savoir ce que tu veux en faire, tu es las et à nouveau le corps cède au sommeil qui te gagne, tu sens la pesanteur des petits matins, avant l’aurore, et te laisse gagner par un engourdissement dans lequel tu te sens bien. Il est temps de fermer ta machine, d’arrêter de mouliner ces flots de paroles vaines, même si par acquit de conscience, tu relis une nouvelle fois ce que ton jus à produit, sans toutefois avoir la lucidité pour corriger quelques fautes d’orthographe ou de style qui resteront jusqu’à la prochaine lecture, demain ou un autre jour, ou même jamais comme cela t’arrive bien souvent.

Tu éteins la lumière, te glisses en catimini dans la chambre conjugale, entres sans bruit entre les draps maintenus frais par une fenêtre ouverte été comme hiver pour laisser entrer les secrets du monde invisible qui enchanteront tes rêves lorsque le soleil se sera montré. Et chaque jour, la journée commencera en pensant à une nuit de bonheur où tu sentis en toi l’infini travailler et te tendre la main.